Vêtement de genre : révéler les codes et significations

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Groupe diversifié de personnes confiantes en milieu urbain

En 2021, le Parlement écossais a officiellement autorisé le port de la jupe pour les garçons dans les écoles, sans restriction ni justification particulière. À l’inverse, certains codes vestimentaires d’entreprise interdisent encore aux hommes de porter des vêtements considérés comme féminins, y compris dans des secteurs non soumis à des contraintes de sécurité.

Les prescriptions sociales autour de l’habillement varient selon les époques, les cultures et les milieux professionnels. Des normes anciennes persistent, tandis que de nouvelles pratiques émergent, remettant en cause les catégories traditionnelles.

Quand les vêtements racontent le genre : histoire et évolutions majeures

Au fil des siècles, le vêtement de genre fonctionne comme un révélateur : il expose les rapports de force, les hiérarchies, les ruptures. Le moyen âge amorce la séparation nette : à Paris comme ailleurs, la longueur d’une tunique, la présence d’ornements, tout distingue l’homme de la femme. Impossible alors pour une femme de revendiquer le pantalon, ce vêtement incarne la liberté de mouvement, réservée aux hommes.

Pourtant, la France n’a jamais été entièrement docile. Dès le XVe siècle, quelques figures s’autorisent la transgression. Jeanne d’Arc, condamnée en partie pour avoir enfilé des habits d’homme, en est l’exemple le plus célèbre. Plus tard, Madeleine Pelletier, psychiatre et militante, arbore le pantalon chaque jour, en écho à l’histoire politique de ce vêtement, que Christine Bard a brillamment mise en perspective.

Le système mode mute, porté par la société. Révolutions industrielles, Années folles, mouvements féministes : à chaque époque, les règles du vestiaire se fissurent un peu plus. Les femmes, longtemps tenues à l’écart de certains vêtements, finissent par les faire leur, au prix de luttes tenaces. Roland Barthes l’a démontré : le vêtement est un langage, il dit la conquête du genre, l’émancipation, la subversion silencieuse.

La frontière entre vestiaires masculin et féminin s’efface, certes, mais n’a pas disparu. Le vêtement continue, par sa seule présence, de signaler un désir d’égalité ou une volonté de défier l’ordre établi. Les archives de mode regorgent de ces tensions : entre normes, entre défis, entre réinventions.

Pourquoi les codes vestimentaires influencent-ils notre perception du masculin et du féminin ?

Les codes vestimentaires s’inscrivent dès la naissance, modelant notre vision du genre bien avant que l’on sache s’habiller seul. Le bonnet rose ou bleu à la maternité, la forme d’une petite chemise, la texture d’un tissu : autant de signaux qui délimitent, sans ambiguïté, le masculin du féminin. Les analyses de Georg Simmel et de Gilles Lipovetsky le rappellent : le vêtement est un fait social, il rassemble, sépare, ordonne. Ce qui recouvre le corps raconte bien plus qu’une simple préférence, il inscrit chaque individu dans une histoire commune.

Jour après jour, la frontière se construit par l’accumulation de détails. Le pantalon, la jupe, les motifs, les accessoires : tout participe à un marquage tenace, relayé par la publicité, la mode, les médias. Les études de genre du CNRS démontrent combien ces distinctions sont fabriquées, réinvesties, même par la fast fashion qui découpe les rayons, impose des formes, alimente des clichés.

Un vêtement codé n’est pas neutre : il façonne la manière dont on se voit, et la façon dont on est perçu. Les sciences humaines et sociales décryptent ce mécanisme : l’habit s’impose comme norme, le corps devient écran, le genre une catégorie imposée. Le vestiaire, loin d’être anodin, sculpte notre rapport à la société, distribue les places, conditionne les regards. La mode, elle, continue d’imposer ses partitions, dictant souvent les contours de l’identité.

Décrypter les stéréotypes pour mieux comprendre la diversité des styles

Les stéréotypes vestimentaires s’infiltrent partout, si bien qu’on les remarque à peine. Pourtant, une observation attentive des styles dévoile une diversité bien plus riche que la simple opposition entre masculin et féminin. Les queer études et le travail de Judith Butler l’ont mis en évidence : le genre n’est pas donné, il se construit, se performe à travers les vêtements choisis.

Marlene Dietrich ou David Bowie n’ont pas attendu la mode pour brouiller les pistes. En mélangeant éléments masculins et féminins, ils ont ouvert de nouveaux chemins pour l’expression de soi. Aujourd’hui, la scène LGBTQ+ s’empare de cet héritage, expérimente, dynamite les codes imposés.

Quelques exemples illustrent cette créativité et cette remise en question :

  • Des chemises oversize portées sans distinction de genre, des jupes adoptées par des hommes, des pièces qui deviennent revendications en elles-mêmes.
  • Des vêtements qui oublient leur histoire d’origine, circulent, se transforment, se réinventent selon les envies et les identités.

Le sociologue Damien Delille insiste sur le rôle du discours sur la mode pour légitimer ces nouvelles façons de s’habiller. Les réseaux sociaux, accélérateurs de tendances, servent de vitrine à cette diversité : chaque style, chaque tentative de sortir du cadre, trouve désormais une audience et une reconnaissance. Cette effervescence n’est pas une question d’apparence : elle interroge la place du corps, du désir, de l’identité dans la société actuelle.

Main sélectionnant accessoires mode masculins et féminins

Vers une mode inclusive : comment la créativité bouscule les frontières du genre

La créativité bouscule les habitudes et redistribue les cartes du vestiaire. Les couturier·e·s franchissent les anciennes limites, inventent de nouvelles formes. Le mouvement gender-fluid s’impose sur les podiums : Marc Jacobs ose la jupe, Jean-Paul Gaultier brouille les repères, Rad Hourani défend une mode unisexe affranchie d’étiquettes. Par ces gestes, les créateurs interrogent sans relâche le sens même d’identité.

Sur Instagram, TikTok et ailleurs, une génération d’influenceur·euse·s revendique des looks sans genre, multiplie les essais, s’affranchit des balises. Le vêtement devient alors un terrain d’expression artistique, une façon de faire exister une identité plurielle, mouvante. Ce jeu avec les codes n’est pas un simple effet de mode : il traduit l’émergence d’une culture où le dégénrage du vêtement devient réalité.

Voici quelques dynamiques qui redéfinissent la manière d’envisager le genre par le vêtement :

  • La seconde main accélère la redistribution des pièces : la notion de saisonnalité ou d’appartenance à un genre s’efface.
  • La fast fashion, souvent, capte ces tendances pour les réinjecter dans le marché, mais en amoindrit parfois la portée novatrice.

Les grandes maisons, de Pierre Cardin à André Courrèges, avaient déjà esquissé ce virage en proposant des silhouettes affranchies des modèles dominants. Aujourd’hui, Yohji Yamamoto ou Masayuki Ino poursuivent cette exploration, entre respect du passé et désir de rupture. Même la mode masculine n’hésite plus : elle adopte la couleur, la jupe, le maquillage, ose de nouveaux horizons.

La remise en question du vêtement de genre ne relève pas d’un effet d’annonce. Elle se joue dans les choix quotidiens, dans ces micro-décalages qui, additionnés, redessinent le paysage. Portée par l’imagination et la circulation des images à l’échelle mondiale, cette évolution s’affranchit des frontières, ignore les prescriptions, et invite chacun à réinventer ses propres codes. Un vestiaire en mouvement, à l’image d’une société qui ne se contente plus de suivre la ligne tracée.